J.O. 127 du 3 juin 2003
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Texte paru au JORF/LD page 09471
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Décision du 6 mai 2003 se prononçant sur un différend qui oppose la Société d'investissement en énergie (SINERG) à Electricité de France (EDF) sur les conditions financières de la réalisation du raccordement d'une installation de cogénération au réseau public de distribution
NOR : CREX0306639S
La Commission de régulation de l'énergie,
Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 30 janvier 2003 sous le numéro 03-38-01, présentée par la Société d'investissement en énergie (SINERG), société anonyme enregistrée au RCS de Nanterre sous le numéro B 338 701 360, dont le siège social est 8 bis, rue Escudier, 92513 Boulogne-Billancourt Cedex, représentée par son directeur général et ayant pour avocat Me Alain Confino.
SINERG expose avoir répondu à un appel d'offres de la société SOFRECHAL pour la réalisation, l'exploitation et la gestion d'une installation de cogénération à Fresnes. Dans ce cadre, elle a demandé à EDF d'évaluer le coût des travaux de raccordement au réseau public de distribution d'une telle installation. EDF, dans un courrier du 4 septembre 1997, a indiqué que « côté départ EDF et côté poste producteur, la prestation est réalisée pour un prix net et forfaitaire facturé au producteur de 120 000 F (HT) (matériel et mise en oeuvre) ». Sur la base de ce courrier, SINERG a remis son offre à SOFRECHAL dans le cadre de la procédure de consultation. SOFRECHAL a fait part à EDF, dans un courrier du 2 octobre 1997, de sa décision de confier la réalisation du projet d'installation de cogénération à la société SINERG, en précisant que « la variante de quatre moteurs à gaz pour une puissance électrique de 7,5 MWe et une puissance thermique de 8,9 MW » a été retenue.
SINERG ajoute qu'en l'absence de réponse aux questions qu'elle a posées à EDF, elle lui a passé commande pour la réalisation d'un raccordement électrique, le 30 avril 1998, en se référant au devis qu'il avait établi le 4 septembre 1997 et en s'acquittant d'un premier acompte de 60 000 F.
Elle souligne qu'EDF a été parfaitement informé, dès cette date, des caractéristiques de l'installation de cogénération qu'il devait réaliser. Elle indique également qu'elle n'a cessé de demander à EDF des précisions sur les modalités détaillées du raccordement convenu, en faisant état des comptes-rendus de réunions ayant eu lieu avec des représentants d'EDF.
SINERG indique que, devant le silence persistant d'EDF pour déterminer les modalités financières du raccordement de l'installation de cogénération au réseau public, elle l'a mis en demeure, par lettre du 30 juin 1998, de lui indiquer la date précise à laquelle devaient commercer les travaux de raccordement.
Toutefois, SINERG indique avoir reçu un courrier d'EDF le 26 juin 1998 lui annonçant que « le montant des travaux exécutés par EDF, initialement estimé à 120 000 F (HT), s'élèvera en réalité à 3 291 563,91 F (HT) », en justifiant cette modification par le choix de la variante quatre moteurs et par un problème de tension. EDF a alors retourné le premier acompte de 50 % versé par SINERG et a réclamé le versement d'un nouvel acompte correspondant à 50 % du nouveau montant des travaux de raccordement à réaliser, soit une somme de 1 665 781,95 F.
SINERG indique avoir versé cet acompte sans en avoir le choix, compte tenu des contraintes contractuelles auxquelles elle était soumise. Elle affirme, toutefois, qu'elle a émis des réserves en se prévalant de l'engagement qu'EDF aurait pris à son égard dans son courrier du 4 septembre 1997.
SINERG indique qu'elle refuse non seulement de s'acquitter du solde de la nouvelle facture, mais également de signer la convention de raccordement que lui a adressée EDF.
EDF a demandé à SINERG, dans une lettre du 3 décembre 1999, le paiement du solde de la nouvelle facture mais a, toutefois, diminué le montant réclamé à SINERG d'une somme de 841 115,02 F (HT), en raison de « l'opportunité mise à profit d'enfouir ce câble électrique non pas sous un trottoir, comme il est d'obligation en zone urbaine, mais dans un talus existant sur une partie du parcours ».
SINERG ajoute qu'EDF l'a relancée par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 avril 2000 et qu'elle a répondu le 17 mai 2000 en maintenant sa position. Le 25 juin 2002, EDF a saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à obtenir le paiement du solde du montant des travaux de raccordement.
Aux termes de sa demande, SINERG considère que la CRE est compétente, en vertu de l'article 38 de la loi du 10 février 2000, pour se prononcer sur le différend qui l'oppose à EDF, dès lors qu'il porte sur les modalités financières du raccordement d'une installation de cogénération au réseau public de distribution.
SINERG soutient, à titre principal, que la modification des conditions financières opérée le 26 juin 1998 doit être déclarée nulle et de nul effet en raison de la violence économique exercée par EDF à son encontre et de l'absence de cause à l'obligation de paiement mise à sa charge. Pour justifier de la violence économique dont elle aurait été victime, SINERG soutient :
- qu'EDF aurait volontairement tardé à lui communiquer les conditions financières d'exécution des travaux, alors qu'il était informé de l'échéance de mise en service de l'installation ;
- qu'EDF lui a adressé un nouveau devis, le 26 juin 1998, à un moment où elle ne pouvait plus renoncer au marché conclu avec SOFRECHAL pour la réalisation de l'installation de cogénération, compte tenu des sommes qu'elle avait d'ores et déjà engagées ;
- et qu'EDF a abusé de la situation en subordonnant la réalisation du raccordement au versement d'un acompte de 50 % du nouveau montant des travaux.
Au soutien de la nullité des nouvelles conditions proposées par EDF le 26 juin 1998, SINERG affirme, par ailleurs, que celles-ci sont dépourvues de cause. Elle estime, en effet, que les sommes que lui réclame EDF ne sont pas justifiées. EDF n'aurait, selon elle, jamais apporté la preuve que les motifs invoqués, à savoir le choix de la variante quatre moteurs et un problème de tension, aient pu avoir une incidence sur le coût du raccordement de l'installation litigieuse.
SINERG met en cause, à titre subsidiaire, la responsabilité d'EDF et demande la réparation du préjudice qu'elle a subi en raison des fautes commises par EDF à son égard. Elle estime que son préjudice est équivalent aux sommes dont EDF lui réclame le paiement.
Au titre des fautes qu'elle reproche à EDF, elle invoque la violence économique dont elle aurait été victime, l'abus de position dominante d'EDF et le manquement d'EDF à l'obligation d'information et de conseil à laquelle, selon elle, il était tenu à son égard.
S'agissant, en particulier, de l'obligation d'information et de conseil d'EDF, SINERG affirme qu'EDF aurait conservé un silence fautif pendant plus de neuf mois en n'ayant jamais indiqué, jusqu'à son courrier du 26 juin 1998, que le choix de la variante quatre moteurs ou l'existence d'un problème de tension pouvait avoir une incidence sur le coût du raccordement.
SINERG demande donc à la CRE :
A titre principal :
- de déclarer nulles et de nul effet les conditions financières imposées par EDF à SINERG le 26 juin 1998 ;
- et d'ordonner à EDF de lui rembourser la somme de 253 946,85 EUR (HT) correspondant à l'acompte que SINERG a été contrainte de verser, diminuée des 18 293,88 EUR du devis initial, et augmentée des intérêts de droit au taux légal ;
A titre subsidiaire :
- d'ordonner à EDF de lui payer, au titre des dommages et intérêts, une somme de 355 274,63 EUR (HT), augmentée des intérêts légaux ;
- d'ordonner la compensation entre cette indemnité et les sommes réclamées à SINERG par EDF ;
- et de mettre les dépens de la procédure à la charge d'EDF.
Vu les observations en réponse, enregistrées le 14 février 2003, présentées par Electricité de France, établissement public à caractère industriel et commercial, inscrit au RCS de Paris sous le numéro B 552 081 317, dont le siège social est situé 22-30, avenue de Wagram, 75008 Paris, représenté par Robert Durdilly, directeur d'EDF-GDF Services.
EDF indique que la puissance d'une installation est une donnée essentielle pour en chiffrer le raccordement. Par télécopie du 28 août 1997, M. Lenoir, représentant la société SOFRECHAL et la ville de Fresnes, a indiqué que la puissance de l'installation en cause serait comprise entre 5 et 6 MW. Sur ces considérations, EDF a transmis le 4 septembre 1997 à SINERG des informations portant uniquement sur l'asservissement des disjoncteurs par téléaction pour un prix forfaitaire de 120 000 F (HT), dispositif qui devait équiper l'installation quelle que soit sa puissance. EDF indique que le coût de raccordement au réseau électrique n'a pas été chiffré en l'absence des éléments nécessaires pour le réaliser, en se prévalant des termes du courrier du 4 septembre 1997, selon lequel « les travaux de raccordement du poste de production au poste de transformation "FR Géothermie sont à la charge du producteur et ne sont pas mentionnés dans ce document ».
EDF ajoute qu'il a participé pour la première fois aux réunions entre SINERG et ses sous-traitants le 11 février 1998. Il a reçu, par courrier du 25 février 1998, le document « état de collecte préparatoire à l'étude du raccordement d'un autoproducteur », qui signalait que la puissance assignée pour les quatre transformateurs était de 7,76 MW (1,94 par transformateur). Par un second courrier du même jour, SINERG a demandé à EDF la communication du devis des travaux nécessaires au raccordement au réseau public. EDF affirme avoir systématiquement signalé lors des réunions ultérieures que le devis de raccordement restait à fournir et qu'il a demandé le 15 mai à SINERG des éléments techniques complémentaires nécessaires à l'établissement d'un devis.
EDF soutient que ces éléments techniques ont révélé qu'un « départ dédié » était nécessaire. EDF a alors évalué les travaux à exécuter à un montant de 3 291 563,91 F (HT) et l'a indiqué à SINERG dans sa lettre du 26 juin 1998. EDF soutient avoir fourni le 17 juillet 1998 les explications demandées par SINERG qui a adressé, le 28 juillet, un chèque de 1 665 781,95 F (HT) et, le 3 septembre 1998, la lettre de commande correspondante. Les travaux ont été exécutés et un raccordement provisoire mis en place. La mise sous tension a eu lieu le 15 octobre 1998 et la mise en service industrielle le 16 décembre 1998. EDF a adressé le 3 décembre 1999 la facture du solde des travaux, avec une diminution de 841 115,02 F (HT) correspondant aux économies réalisées grâce à l'enfouissement d'un câble électrique sous un talus existant. SINERG n'ayant toujours pas procédé au règlement de ce solde malgré les relances d'EDF et la mise en demeure d'EDF du 16 avril 2002, EDF a saisi le tribunal administratif de Melun le 21 juin 2002.
EDF soutient que, le différend étant antérieur à la loi du 10 février 2000, la CRE n'est pas compétente ratione temporis, à défaut pour la loi d'avoir conféré expressément aux dispositions relatives aux règlements de différends un effet rétroactif.
EDF affirme également que la CRE n'est pas compétente ratione materiae pour connaître du différend qui l'oppose à SINERG.
EDF estime, d'une part, que la demande de SINERG doit s'analyser comme un litige de travaux publics, qui relève de la compétence exclusive de la juridiction administrative, et non comme un litige relatif à l'accès ou à l'utilisation des réseaux publics d'électricité.
EDF soutient, d'autre part, que pour un motif de bonne administration de la justice, la CRE doit décliner sa compétence, dès lors que le tribunal administratif de Melun a été saisi par EDF d'un litige présentant une identité de parties, d'objet et de cause avec la demande de règlement de différend déposée par SINERG devant la CRE.
EDF estime, à titre subsidiaire, que les conclusions dont SINERG a saisi la CRE ne sont pas recevables. La CRE n'aurait pas, selon EDF, le pouvoir de déclarer nulles et de nul effet des stipulations contractuelles, ni d'ordonner la compensation entre deux sommes d'argent, ni de prononcer la condamnation à des dépens.
EDF soutient également, à titre subsidiaire, sur le fond, que la présentation des faits par SINERG est erronée et qu'elle repose sur une série d'affirmations non fondées. EDF affirme que SINERG ne pouvait ignorer que le courrier du 4 septembre 1997 ne comprenait pas les frais de raccordement. En outre, EDF soutient que SINERG savait qu'un devis pour le raccordement devait lui être adressé, en invoquant le courrier du 25 février 1998 adressé par SINERG et plusieurs comptes rendus de réunions. EDF ajoute que SINERG n'a émis aucune réserve lorsqu'elle a passé commande des travaux de raccordement de son installation de cogénération le 3 septembre 1998 pour un montant de 3 331 563,91 F (HT).
EDF considère que SINERG est un professionnel averti, spécialisé dans la réalisation d'installations de cogénération, et qu'elle ne pouvait ignorer les délais nécessaires à la détermination des coûts de raccordement.
Or, EDF précise qu'il n'a pu déterminer le coût des travaux de raccordement que lorsqu'il a obtenu la communication de toutes les informations techniques nécessaires relatives à l'installation. Il estime ainsi n'avoir été en mesure de proposer un devis pour le raccordement de l'installation que le 26 juin 1998, après avoir obtenu de SINERG les informations complémentaires permettant d'établir que le raccordement devait s'effectuer par un départ dédié.
EDF conteste, en se prévalant des courriers de SINERG, les allégations de celle-ci selon lesquelles il aurait conservé un silence fautif. SINERG n'apporte pas la preuve, selon EDF, qu'il se serait intentionnellement abstenu de lui adresser le devis définitif du raccordement de son installation au réseau. Il estime avoir « constamment prouvé son esprit de coopération », notamment en participant aux réunions de conciliation organisées par la DRIRE ou en ayant assuré le raccordement de l'installation dans les délais fixés.
EDF considère qu'il n'a pas exercé à l'encontre de SINERG de violence économique de nature à entraîner la nullité des conditions financières émises le 26 juin 1998. EDF estime avoir traité SINERG de façon objective, non discriminatoire et transparente, en particulier en lui facturant le coût exact des travaux de raccordement.
EDF précise que l'obligation de paiement des frais de raccordement n'est pas dépourvue de cause, puisqu'elle repose sur l'exécution de travaux précis, dont il a déterminé les coûts.
Il estime également ne pas être tenu à une obligation d'information et de conseil à l'égard de SINERG, dès lors que celle-ci ne peut être regardée comme un consommateur.
EDF conteste devoir payer à SINERG une indemnité en réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi, dès lors que SINERG ne justifie pas l'étendue de son préjudice, n'en précise pas la nature, ni n'établit le lien de causalité entre la faute alléguée et son préjudice.
EDF demande à la CRE :
- à titre principal, de rejeter les demandes de SINERG ;
- à titre subsidiaire, d'enjoindre à SINERG de payer à EDF les sommes restant dues et de signer la convention de raccordement qu'il lui a adressée.
Vu les observations en réplique de SINERG, enregistrées le 28 février 2003.
SINERG persiste dans ses écritures, mais souhaite répondre à EDF sur cinq points.
Elle affirme, tout d'abord, que la CRE est compétente ratione temporis pour connaître du litige qui l'oppose à EDF dès lors :
- qu'aucune disposition de la loi du 10 février 2000 n'interdit à la CRE de connaître de différends qui ont leur origine dans des faits antérieurs à son entrée en vigueur ;
- que les lois de forme, c'est-à-dire les lois relatives à la procédure, aux voies d'exécution et à la compétence, sont d'application immédiate aux instances en cours ;
- que les lois qui modifient les effets légaux des contrats s'appliquent immédiatement en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation ;
- que la CRE, dans sa décision du 12 décembre 2002 AESM c/EDF, a implicitement reconnu qu'elle était compétente pour trancher un litige qui portait sur la réalisation d'accords contractuels passés avant l'entrée en vigueur de la loi.
Par ailleurs, SINERG mentionne que le litige qui l'oppose à EDF relève de la compétence matérielle de la CRE dès lors :
- qu'il concerne un élément déterminant de l'accès au réseau, à savoir le coût d'un raccordement au réseau ;
- que la saisine du tribunal administratif de Melun par EDF ne fait pas obstacle à la compétence de la CRE.
SINERG soutient également que sa demande est recevable, la CRE ayant reçu le pouvoir de trancher tous les aspects des litiges qui lui sont soumis.
SINERG conteste l'argumentation d'EDF selon laquelle « la puissance de l'installation pressentie était de 5 ou 6 MW électriques », puisqu'il a indiqué dans sa lettre du 4 septembre 1997 avoir retenu une puissance de 8,120 MW. SINERG ajoute qu'EDF n'a toujours pas apporté, à ce jour, d'élément permettant d'apprécier la réalité de l'incidence des motifs qu'il a invoqués sur le coût du raccordement.
Enfin, SINERG affirme ne pas pouvoir être considérée comme un professionnel averti pour les questions de raccordement au réseau électrique, seul EDF pouvant prétendre avoir cette qualité.
Vu les observations complémentaires d'EDF, enregistrées le 21 mars 2003.
Il confirme tout d'abord que la CRE n'est pas, selon lui, compétente ratione temporis en affirmant que :
- d'une part, les dispositions de l'article 38 de la loi du 10 février 2000 ne sauraient être considérées comme des règles de forme d'application immédiate, mais comme de véritables règles de fond, dont l'application ne peut être rétroactive ;
- d'autre part, la décision de règlement d'un différend rendue par la CRE le 12 décembre 2002, AESM c/EDF, ne permet pas d'établir la compétence ratione temporis de la CRE, dès lors qu'elle a eu pour objet de préciser sa compétence matérielle et qu'elle se rapporte à un différend survenu postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 10 février 2000.
Par ailleurs, EDF soutient que la CRE n'est pas compétente ratione materiae et doit décliner sa compétence au profit du juge administratif, seul compétent pour connaître d'un litige entre un producteur autonome et EDF. Il précise en effet que la CRE n'est pas une juridiction mais intervient dans une phase précontentieuse facultative qui doit être abandonnée lorsque l'une des parties a saisi un juge.
Par ailleurs, EDF rappelle les étapes nécessaires à la détermination des modalités techniques et financières de raccordement et indique, en l'espèce, les considérations techniques qui ont conduit à choisir le déplacement du point de raccordement au poste source pour respecter les limites fixées par l'arrêté du 14 avril 1995.
S'agissant de la méconnaissance de son obligation d'information et de conseil, EDF souligne que SINERG et les bureaux d'études qui l'assistaient ne pouvaient ignorer les contraintes imposées par l'arrêté du 14 avril 1995, et notamment la nécessité de disposer de tous les paramètres techniques pour déterminer les modalités techniques et financières de raccordement de son installation. Selon EDF, le courrier du 4 septembre 1997, qui se présente comme une simple étude exploratoire, ne pouvait être assimilé à la proposition technique et financière définitive de raccordement de son installation.
EDF estime par ailleurs que la rédaction du courrier du 26 juin 1998 apparaît comme maladroite, quand il est indiqué que les travaux « initialement estimés à 120 000 F (HT) s'élèvent en réalité à 3 291 563,91 F (HT) ». EDF soutient toutefois que SINERG n'est pas fondée à se prévaloir de l'ambiguïté de ce courrier pour se soustraire au paiement des sommes qui restent dues, dès lors que SINERG a accepté sans réserve la proposition qui lui a été faite.
EDF persiste dans ses précédentes conclusions.
Vu les observations complémentaires de SINERG, enregistrées le 10 avril 2003.
S'agissant de la compétence ratione temporis de la CRE, SINERG estime que la loi du 10 février 2000 n'a pas créé un droit d'accès au réseau, comme le soutient EDF, dès lors qu'il existait avant l'entrée en vigueur de la loi. De plus, le différend ne s'est pas « entièrement cristallisé en 1998 », puisqu'EDF a soumis à la signature de SINERG le 1er octobre 2001 un projet de convention relatif aux modalités techniques et financières de raccordement de son installation, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 10 février 2000. En outre, le projet de convention du 1er octobre 2001 vise expressément, au nombre des textes applicables, la loi du 10 février 2000.
SINERG confirme également qu'EDF n'apporte pas la preuve des raisons réelles qui l'ont conduit à modifier le coût des travaux en cause, ni de la réalité de ces coûts. Enfin, SINERG estime ne pas détenir la qualité de professionnel s'agissant des conditions de raccordement d'une installation de production, la réalisation d'installations de cogénération ne constituant, en effet, qu'une partie de son activité. Les bureaux d'études, bien que spécialisés dans le domaine de l'électricité, s'en remettent aux informations qui leur sont fournies par EDF sur l'état et les caractéristiques des réseaux.
Selon SINERG, seul EDF serait capable de déterminer les capacités d'accueil d'une installation de production et les aménagements nécessaires à cet accueil.
SINERG persiste par ailleurs dans ses précédentes conclusions.
Vu l'ensemble des dossiers remis par les deux parties ;
Vu la décision du 30 janvier 2003 du président de la Commission de régulation de l'énergie relative à la désignation d'un rapporteur pour l'instruction d'une demande de règlement de différend ;
Vu la loi no 2000-108 du 10 février 2000 modifiée relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ;
Vu le décret no 2000-894 du 11 septembre 2000 relatif aux procédures applicables devant la CRE ;
Vu la décision du 15 février 2001 relative au règlement intérieur de la CRE.
Les parties ayant été régulièrement convoquées à l'audience devant la CRE ;
Après avoir entendu, le 30 avril 2003, lors de l'audience publique devant la CRE :
En présence :
- de M. Jean Syrota, président, Mme Jacqueline Benassayag, MM. Raphaël Hadas-Lebel, Bruno Lechevin, François Morin, Jacques-André Troesch, commissaires ;
- de MM. Thierry Tuot, directeur général, Marc de Monsembernard, directeur juridique, Marc Chevrel, rapporteur ;
- de Me Olivier Litty et M. Jean-Marie Pionnat, pour SINERG ;
- de Mme Bénédicte Magherini, MM. Jean-Claude Millien et Philippe Alaux, pour EDF ;
- le rapport de M. Marc Chevrel, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
- les observations de Me Olivier Litty et M. Jean-Marie Pionnat pour SINERG : SINERG persiste dans ses conclusions et indique que le devis qu'elle attendait au printemps 1998 correspond au seul raccordement, d'une centaine de mètres, entre l'installation de cogénération et le poste client ; elle ajoute que le site n'aurait pas été retenu pour la centrale de production s'il avait été su à l'avance que le coût total des travaux de raccordement serait si élevé ;
- les observations de M. Jean-Claude Millien pour EDF : EDF persiste dans ses conclusions ; il soutient qu'il ne peut pas produire un devis de raccordement en quelques jours et que le courrier du 4 septembre 1997 ne peut donc pas être considéré comme un devis,
la Commission en ayant délibéré le 30 avril 2003, après que les parties, le rapporteur, le public et les agents de la CRE se sont retirés, ainsi que le 6 mai 2003, en présence de M. Jean Syrota, Mme Jacqueline Benassayag, MM. Raphaël Hadas-Lebel, Bruno Lechevin, François Morin, hors de la présence de tiers.
Sur la compétence de la CRE :
Compétence au regard des dates du litige
Aux termes du I de l'article 38 de la loi du 10 février 2000 : « En cas de différend entre les gestionnaires et utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution d'électricité [...] lié à l'accès auxdits réseaux [...] ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d'accès aux réseaux publics de transport et de distribution ou de désaccord sur la conclusion, l'interprétation ou l'exécution des contrats et protocoles visés au III de l'article 15 et à l'article 23 de la présente loi [...], la Commission de régulation de l'énergie peut être saisie par l'une ou l'autre des parties.
[...]
[La] décision [de la commission] est motivée et précise les conditions d'ordre technique et financier de règlement du différend dans lesquelles l'accès aux réseaux [...] ou leur utilisation sont, le cas échéant, assurés. »
Il résulte de ces dispositions que la CRE est compétente pour connaître des différends liés à l'accès ou à l'utilisation des réseaux publics, y compris ceux pouvant survenir entre un utilisateur d'un réseau public et son gestionnaire dans la réalisation du raccordement d'une installation de production ou de consommation, dès lors que celle-ci constitue la condition physique de l'accès d'un utilisateur au réseau.
La CRE est, en outre, tenue de se prononcer sur tous les aspects, notamment d'ordre technique ou financier, du différend dont elle est saisie.
Aux termes de sa saisine, SINERG conteste le montant que lui réclame EDF pour la réalisation du raccordement au réseau public de distribution d'une installation de cogénération qu'elle a réalisée et, à titre subsidiaire, demande la réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi en raison des fautes qu'aurait commises EDF à son égard.
Dès lors que, par son objet, la demande de règlement de différend présentée par SINERG se rapporte aux conditions financières de raccordement d'une installation de production fixées par EDF dans la gestion du réseau public de distribution et aux fautes que celui-ci a pu commettre dans la détermination de ces conditions, la CRE est compétente pour en connaître en vertu de l'article 38 de la loi du 10 février 2000.
Contrairement à ce que soutient EDF, la circonstance que les faits à l'origine du désaccord opposant les parties soient antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi du 10 février 2000 n'a pas d'incidence sur la compétence de la CRE pour connaître du litige dont SINERG l'a saisie.
L'article 38 de la loi du 10 février 2000, qui a confié à la CRE la compétence de régler les différends qui surviennent entre utilisateurs et gestionnaires de réseau, ne contient, en effet, aucune disposition transitoire qui s'opposerait au principe de son application immédiate, y compris aux litiges en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi du 10 février 2000.
La CRE est, par conséquent, compétente pour se prononcer sur le différend qui oppose SINERG à EDF, dès lors que celui-ci est toujours actuel, quelle que soit la date à laquelle un désaccord a pu naître entre les parties, et alors même qu'il serait né, ainsi que le soutient EDF, à la suite d'un courrier adressé à SINERG, le 26 juin 1998, fixant les conditions financières du raccordement de l'installation litigieuse à un montant de 3 291 563,91 F (HT).
Compétence au regard de celle du tribunal administratif de Melun
EDF conteste, par ailleurs, à tort, que la CRE puisse être compétente pour connaître de la demande de SINERG, au motif qu'il aurait lui-même saisi le tribunal administratif de Melun d'un litige l'opposant à SINERG, dont l'objet et la cause seraient identiques.
Il ressort des pièces produites par les parties que la requête présentée par EDF devant le tribunal administratif de Melun, si elle est dirigée contre SINERG, vise toutefois à obtenir, sur le fondement des dispositions de la loi du 28 pluviôse an VIII, sur lesquelles EDF a expressément fondé sa requête, le paiement d'une créance relative à l'exécution de travaux publics résultant d'un accord intervenu entre les parties le 28 juillet 1998.
Or, la demande dont est saisie la CRE a été présentée par SINERG sur le fondement de l'article 38 de la loi du 10 février 2000. Aux termes de celle-ci, SINERG ne demande pas à la CRE de se prononcer sur le bien-fondé d'une créance relative à l'exécution de travaux publics dont EDF aurait déjà saisi le juge administratif, mais se prévaut des conditions d'accès au réseau public de distribution.
Le recours actuellement pendant devant le tribunal administratif de Melun ne fait donc pas obstacle à la compétence de la CRE pour connaître de la demande de SINERG, qui repose sur une cause juridique distincte de celle dont EDF a saisi le juge administratif.
Ainsi, contrairement à ce que soutient EDF, la saisine du tribunal administratif de Melun ne saurait priver la CRE de sa compétence pour connaître de la demande de règlement de différend présentée par SINERG, au regard de la législation qu'elle est en charge d'appliquer, sous le contrôle de la cour d'appel de Paris.
Compétence pour connaître de conclusions
afin de déclarer nul un contrat
En revanche, s'il incombe à la CRE, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, de se prononcer sur tous les aspects, notamment techniques et financiers, du différend dont elle est saisie et de suspendre ainsi, de fait, l'application d'un contrat relatif à l'accès ou à l'utilisation des réseaux ou de certaines stipulations qui en seraient divisibles, il n'appartient qu'aux seules juridictions compétentes de prononcer la nullité de stipulations contractuelles régissant les relations entre les parties. Par suite, les conclusions de SINERG sur ce point ne peuvent, dans cette mesure, qu'être rejetées.
Sur les faits :
Il ressort des pièces du dossier que SINERG a présenté par télécopie du 20 août 1997 une première demande à EDF pour le raccordement d'une installation de cogénération en vue de répondre à l'appel d'offres organisé par SOFRECHAL. SINERG demande en particulier « si un renforcement des câbles de liaison existant doit être envisagé entre poste abonné et poste source, quel est le coût de celui-ci pour une puissance maximale livrée de 7 000 kWe et quelle est la durée des travaux ». Le poste abonné dont il est question est celui de l'installation de géothermie, désigné « FR Géothermie ».
Le 28 août, M. Lenoir, directeur de la société SOFRECHAL, a envoyé une télécopie à EDF signifiant que l'entreprise en restait à un projet de 5 ou 6 MWe.
Le 4 septembre 1997, EDF a envoyé un courrier qui est au coeur du différend entre les parties. Le courrier précise qu'il s'agit des « conditions de raccordement du site » et indique dans son annexe les travaux induits par la solution de raccordement. Dans ce premier courrier, EDF a pris en compte une puissance électrique de 8 120 kW, avec cinq moteurs, contre 7 720 kWe avec quatre moteurs pour la centrale finalement installée (chiffres du projet de convention de raccordement entre EDF et SINERG du 23 octobre 1998). Cette solution est donnée sous condition, puisque l'annexe mentionne en tête de document sous quelles hypothèses les conclusions en question peuvent être valides. Figure, en particulier, parmi les hypothèses, le fait que « les contraintes possibles en transit de puissance sur les câbles, en surtension au voisinage du producteur [et] de perturbation du signal tarifaire 175 Hz restent dans les limites acceptables définies par l'arrêté technique du 14 avril 1995 ». Toutefois, le document précise ensuite que « les résultats de la présente étude seront systématiquement remis en cause pour tout nouveau projet ou raccordement d'un nouveau producteur sur le même poste source [et] toute modification de la puissance garantie ou de la puissance installée ».
Ce courrier n'a pas indiqué explicitement qu'il n'engageait pas EDF. Il n'a pas indiqué explicitement non plus que des études ultérieures étaient indispensables pour réaliser une proposition définitive. Enfin, il n'a pas indiqué d'ordre de grandeur du coût d'un raccordement qui nécessiterait un départ dédié, au cas notamment où l'une des hypothèses indiquées ne serait pas vérifiée.
Il ressort également des comptes-rendus des réunions rédigés par SINERG que celle-ci était en attente d'un devis relatif au raccordement. Ainsi, il est indiqué pour la réunion du 11 février 1998 : « les travaux de déviation et de raccordement des câbles d'alimentation seront réalisés par EDF (devis en attente) ». Ce même compte rendu permet toutefois d'estimer que le raccordement en coupure d'artère restait l'hypothèse de travail et rien, dans les pièces du dossier, n'indique qu'un départ dédié ait été envisagé. Le courrier de SINERG du 25 février 1998 demande également à EDF de « communiquer le devis des travaux nécessaires au raccordement au réseau EDF ».
Si le compte-rendu des réunions des 11 et 18 mars indique toujours que le devis de raccordement est attendu, son montant estimatif obtenu par téléphone est indiqué à 220 000 F, dont 120 000 F pour la gestion du poste abonné. Il ne précise pas si les 100 000 F supplémentaires par rapport au courrier du 4 septembre correspondent au raccordement entre l'installation de cogénération et le poste client de la géothermie, comme l'a indiqué SINERG en séance, ou s'il s'agit d'un coût relatif à la liaison entre le poste de la géothermie et le poste source. Rien dans les pièces du dossier ne permet par ailleurs d'indiquer qu'un départ dédié aurait été envisagé à ce stade.
EDF a demandé, par télécopie du 15 mai 1998, des données techniques complémentaires, afin de savoir si l'installation de cogénération pouvait être raccordée « sur départ existant ou sur départ dédié ». Ce courrier précise que ces informations permettront à EDF d'établir « la proposition commerciale relative au raccordement au réseau du distributeur ».
Le courrier d'EDF du 26 juin 1998 fournit cette proposition commerciale, en indiquant que le montant « initialement estimé à 120 000 F (HT), s'élèvera en réalité à 3 291 563,91 F (HT) » hors frais de raccordement du poste de production au poste de transformation du client. Le courrier précise qu'un départ souterrain dédié est nécessaire car « en cas de raccordement sur le câble existant, la tension au point d'injection devient supérieure à 5 % de la tension nominale ». Le courrier ne donne aucun détail, même par grands postes, sur le montant annoncé.
Sur la portée du courrier du 4 septembre 1997 :
EDF soutient que le courrier du 4 septembre 1997 ne pouvait, en aucun cas, être considéré comme une proposition technique et financière engageant EDF, en raison notamment du faible délai entre la demande de SINERG et la réponse. Or, si tel était le cas, EDF aurait dû faire ressortir très clairement dans son courrier qu'il n'avait qu'une valeur indicative. La lettre d'envoi contient bien des clauses précisant dans quelles conditions « une nouvelle proposition annulant » le document en question serait réalisée, mais EDF n'indique comme exemple que les « autorisations administratives et privées à obtenir ». SINERG pouvait donc, à bon droit, estimer que la proposition d'EDF l'engageait.
En tout état de cause, EDF était tenu, au titre de l'article 8 du cahier des charges de la concession du réseau d'alimentation générale, qui s'applique à la distribution publique lorsqu'il s'agit du raccordement d'un producteur en haute tension, ce qui est le cas en l'espèce, de faire une proposition concernant les modalités techniques et financières de raccordement. Aucun autre document d'EDF n'est parvenu à SINERG dans les trois mois suivant sa demande initiale du 20 août 1997, ni pour faire une autre proposition, ni pour indiquer qu'EDF n'était pas en mesure de chiffrer cette proposition compte tenu des éléments dont il disposait. Dès lors, EDF est engagé par le seul document qu'il a envoyé durant cette période des trois mois, document qui précise bien qu'il s'agit des « conditions de raccordement du site de production ».
La circonstance qu'EDF ait dû, afin d'assurer la sécurité du réseau, réaliser un raccordement différent de celui qu'il avait envisagé au départ est sans incidence sur son engagement vis-à-vis du montant qu'il est en droit de demander à son client. Il revenait, en effet, à EDF de prévoir le problème de surtension au niveau du poste de la géothermie et d'en indiquer les conséquences à son client, a minima par une évaluation raisonnable des coûts qui en résulteraient.
C'est donc sur le fondement de la proposition technique et financière du 4 septembre 1997, d'un montant de 120 000 F (HT), hors frais de raccordement du poste de production au poste de transformation « FR Géothermie », que SINERG règlera le montant final du coût de raccordement de son installation de production.
Sur les dépens :
La présente demande de règlement de différend n'ayant pas entraîné de dépens, il n'y a pas lieu, en tout état de cause, de condamner EDF à les supporter,
Décide :
Article 1
Le raccordement de l'installation de cogénération de SINERG sera mis à sa charge pour un montant égal à celui proposé par EDF dans son courrier du 4 septembre 1997.Article 2
Le surplus de la demande de SINERG est rejeté.Article 3
La présente décision sera notifiée à SINERG et à EDF et publiée au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 6 mai 2003.
Pour la commission :
Le président,
J. Syrota